"J'ai postulé à 47 offres en pyjama"
Laura, 32 ans, vient de décrocher un poste de responsable marketing digital dans une entreprise de cosmétiques éthiques. Derrière ce succès professionnel se cache un parcours semé d'embûches, de crises de panique dans les toilettes d'espaces de coworking, et d'une relation tumultueuse avec LinkedIn. Rencontre avec une combattante qui a transformé sa dépression en compétence professionnelle inattendue.
Laura, à peine installée dans ton nouveau bureau, comment te sens-tu réellement?
Franchement? Terrifiée. Excitée. Soulagée. Angoissée. Et parfois tout ça en même temps, souvent vers 3h du matin. Mon psychiatre appelle ça "l'anxiété de la réussite". J'appelle ça "putain, ils vont découvrir que je suis une imposteure qui pleure en regardant des vidéos de chatons quand elle atteint sa limite d'anxiété sociale".
Je pensais naïvement que décrocher le job serait la fin de l'angoisse. Surprise! C'était juste le début du niveau 2. Maintenant, je me réveille en sueur en me demandant si j'ai bien fait de mentionner cette campagne Instagram lors de mon entretien, ou si mon nouveau bureau devrait être face au mur ou face à la porte selon le Feng Shui des anxieux professionnels.
Hier, j'ai passé 45 minutes à choisir la tasse à café que j'allais emmener au bureau. QUARANTE-CINQ MINUTES. Comme si mon avenir professionnel dépendait de si je projette une image "mug minimaliste scandinave" ou "tasse humoristique mais pas trop pour ne pas paraître peu sérieuse". J'ai finalement opté pour un mug bleu neutre, puis j'ai pleuré dans ma voiture en me demandant si ce choix reflétait un manque de personnalité.
Revenons six mois en arrière. Comment s'est passé ton licenciement?
Ah, ce merveilleux jour où mon patron m'a convoquée pour un "point rapide" qui s'est transformé en "restructuration stratégique de l'entreprise". Traduction: "Laura, tu dégages, mais ce n'est pas personnel, c'est juste que ton poste coûte trop cher".
La scène mérite d'être racontée dans ses moindres détails. C'était un mardi. Je déteste déjà les mardis en temps normal, mais celui-ci mérite sa propre plaque commémorative dans le musée de mes traumatismes personnels.
Mon patron, Sébastien - le genre de quadra qui dit "digital native" avec l'accent anglais mais écrit ses emails en Comic Sans - m'a convoquée à 9h15. Premier drapeau rouge: Sébastien n'est jamais opérationnel avant 10h et son troisième café.
J'arrive dans cette salle de réunion vitrée où tout le monde peut te voir pleurer - design sadique typique des open spaces modernes. Surprise! La responsable RH est là aussi. Deuxième drapeau rouge, taille drap de lit cette fois.
Sébastien commence avec "Laura, tu fais un travail formidable, MAIS..." - et on sait tous que tout ce qui précède un "mais" dans ce contexte est aussi sincère qu'un politicien en campagne.
S'ensuit un monologue de 12 minutes sur "la conjoncture économique", "les décisions difficiles" et la "valeur ajoutée des ressources humaines dans un paradigme d'optimisation budgétaire" - un bingo corporate complet.
J'ai hoché la tête professionnellement, serré des mains, puis je suis rentrée chez moi et j'ai passé trois jours sous ma couette avec des biscuits au chocolat comme seule source de nutrition. Ma dépression, qui ronronnait gentiment en arrière-plan depuis quelques mois, a soudain mis le volume à fond.
Le plus ironique? Deux semaines avant, j'avais créé une campagne sur "l'authenticité en entreprise" qui avait battu tous les records d'engagement. Apparemment, l'authenticité s'arrête quand les chiffres ne suivent plus.
Comment as-tu annoncé la nouvelle à ton entourage?
Ah, la grande tournée des conversations gênantes! J'ai développé toute une taxonomie des réactions au licenciement.
D'abord, il y a eu mes parents. Ma mère a immédiatement activé le "Mode Catastrophe" bien qu'elle soit catholique pratiquante: "Mon Dieu, Laura! Comment vas-tu payer ton loyer? Tu vas devoir vendre ton appartement! Tu finiras sous les ponts!" Mon père, plus pragmatique, m'a envoyé trois offres d'emploi dans des domaines qui n'avaient rien à voir avec mes compétences.
Ensuite, la catégorie "amis bien intentionnés mais maladroits". Julia, ma meilleure amie, alternait entre "c'est leur perte, ils ne te méritaient pas" et "j'ai un cousin qui travaille chez Monoprix, je peux lui parler si tu veux?" - tous les jours, pendant trois semaines.
La palme revient à mon ex, qui a appris la nouvelle et m'a immédiatement écrit: "C'est peut-être le moment de reconsidérer ta carrière et de faire quelque chose de vraiment utile?" avant de me suggérer de devenir professeure de yoga. Je n'ai jamais fait de yoga de ma vie.
Le plus dur a été de l'annoncer à ma grand-mère, qui ne comprend toujours pas ce que je faisais exactement. "Tu faisais des publicités sur les ordinateurs, c'est ça?" Oui, mamie, quelque chose comme ça. Sa solution? "Tu devrais ouvrir une pâtisserie, tu fais de si bons cookies." J'ai failli lui dire que mes talents culinaires se limitaient à ouvrir des paquets de Granola, mais je n'ai pas eu le cœur de briser ses rêves de reconversion glamour.
Les premiers jours de chômage, comment les as-tu vécus?
Comme un mélange entre des vacances forcées et une crise existentielle prolongée. Les cinq premières phases du chômage selon Laura:
Phase 1: Le Déni Productif. J'ai nettoyé mon appartement comme jamais. Des recoins que même mon propriétaire ne connaissait pas ont vu la lumière du jour. J'ai organisé mon placard par couleur, PUIS par type de vêtement, PUIS par saison. J'ai même classé mes épices par ordre alphabétique, alors que je ne cuisine jamais.
Phase 2: L'Euphorie Trompeuse. "Enfin libre! Je vais pouvoir faire toutes ces choses que je repoussais!" J'ai acheté un kit de peinture à l'aquarelle, trois livres sur le développement personnel, et je me suis inscrite à un cours en ligne de programmation Python. Spoiler: l'aquarelle est toujours dans son emballage, j'ai lu 12 pages du premier livre, et Python reste un serpent exotique pour moi.
Phase 3: La Procrastination Netflix. "Je mérite une petite pause avant de commencer ma recherche." Cette "petite pause" a duré 9 jours et 7 séries complètes. J'ai développé une relation parasociale inquiétante avec des personnages fictifs et une connaissance encyclopédique des crimes non résolus des années 70.
Phase 4: La Panique Financière. Réveil brutal à 4h du matin, calculatrice en main, estimant combien de temps mes économies tiendraient. Suivi d'une séance de 2 heures sur des simulateurs d'indemnités chômage, puis d'une crise de larmes devant mon relevé bancaire.
Phase 5: La Dépression Non Programmée. Le jour où j'ai mangé des céréales directement dans la boîte, debout devant mon réfrigérateur ouvert, à 15h30, portant le même pyjama depuis trois jours. J'ai regardé mon reflet dans la vitre du four et je me suis dit: "Oh, te voilà, ma vieille amie dépression."
Je crois que ce qui m'a sauvée de la spirale infernale, c'est mon chat, Freud (oui, nommé ainsi parce qu'il me juge silencieusement depuis son canapé). Avoir un être vivant qui dépendait de moi m'obligeait au moins à me lever pour le nourrir. Certains jours, c'était le seul objectif que je pouvais accomplir: "Aujourd'hui, j'ai nourri le chat. C'est suffisant."
Comment as-tu commencé ta recherche d'emploi?
Avec une élégance et une stratégie remarquables: j'ai paniqué. Mon premier CV post-licenciement ressemblait à une lettre d'amour désespérée: "S'il vous plaît, embauchez-moi, je suis normalement compétente quand mon cerveau ne me sabote pas".
J'ai connu plusieurs phases dans ma "stratégie" de recherche:
D'abord, la phase "Sniper Désespéré". J'ai passé trois jours entiers à peaufiner UN SEUL CV et UNE SEULE lettre de motivation pour un poste qui me semblait parfait. J'ai analysé la culture de l'entreprise comme si j'écrivais une thèse, j'ai stalké tous les employés sur LinkedIn, j'ai même acheté un de leurs produits pour pouvoir mentionner mon "expérience client positive". Résultat? Ghostée. Pas même un email automatique de rejet. Le silence cosmique.
Après cette première déception, j'ai basculé dans la phase "Mitraillette". Si la qualité ne paie pas, essayons la quantité! J'ai créé un CV générique et une lettre de motivation avec des espaces à remplir comme un Mad Lib professionnel: "Je suis particulièrement intéressée par le poste de [TITRE] chez [ENTREPRISE] car j'admire votre engagement envers [VALEUR MENTIONNÉE SUR LEUR SITE]". J'ai postulé à 23 offres en deux jours. La plupart étaient si peu adaptées à mon profil que j'aurais eu plus de chances de devenir astronaute.
Puis est venue la phase "Stratège du Dimanche". J'ai acheté un tableau blanc que j'ai accroché dans mon salon. J'ai créé un système complexe avec des post-it de couleurs différentes, des flèches, des diagrammes. J'avais l'air d'une détective dans un film policier, sauf que je traquais des offres d'emploi au lieu de criminels. Mon coloc pensait que je développais une psychose.
La phase la plus sombre a été la "Comparaison Toxique". Je passais des heures sur LinkedIn à stalker d'anciens camarades d'études qui semblaient tous avoir des carrières fulgurantes. Julie est directrice avant 30 ans? Maxime a fondé sa startup? Et moi, je suis là, en jogging taché de sauce tomate, à me demander si je devrais inclure mon expérience de stage de 2009 dans mon CV.
Heureusement, ma coloc l'a intercepté avant que je ne l'envoie et m'a convaincue qu'incorporer mes diagnostics psychiatriques dans la section "compétences" n'était peut-être pas la meilleure approche. Qui aurait cru?
Parlons de LinkedIn. Quelle a été ta relation avec ce réseau pendant ta recherche?
Ah, LinkedIn! Ce merveilleux purgatoire professionnel où tout le monde prétend adorer son travail et où les recruteurs t'envoient des messages pour des postes qui n'ont rien à voir avec ton profil.
Ma relation avec LinkedIn pendant ma recherche d'emploi ressemblait à celle d'un adolescent avec son crush: obsessionnelle, anxiogène, et majoritairement unilatérale.
Au début, j'étais naïve. Je me connectais chaque matin, café à la main, prête à "réseauter stratégiquement" comme le conseillent tous ces articles sur la recherche d'emploi.
Rapidement, LinkedIn est devenu mon dealer d'anxiété quotidienne. Je le consultais environ 37 fois par jour. J'ai développé un sixième sens pour détecter quand quelqu'un de mon réseau changeait de poste - généralement pour quelque chose de plus prestigieux que ce à quoi je postulais.
Le pire était les posts. Mon Dieu, les posts! Trois catégories m'ont particulièrement marquée:
- Les "Humbles Vantards": "Tellement honoré d'annoncer que je rejoins [ENTREPRISE DE RÊVE] comme [POSTE INCROYABLE]! #blessed #hardworkpaysoff" - généralement accompagné d'une photo d'eux tenant un mug avec le logo de l'entreprise, souriant comme s'ils venaient de gagner à l'EuroMillions.
- Les "Gourous Inspirants": ceux qui transforment la plus banale des expériences en leçon de vie. "Aujourd'hui, j'ai vu une fourmi porter une miette de pain. Cela m'a rappelé l'importance de la persévérance en business. #leadership #mindset #inspiration"
- Les "Recruteurs Enthousiastes": "URGENT: cherchons un NINJA du marketing avec 10 ans d'expérience, maîtrise de 28 logiciels, parlant 5 langues, pour un STAGE RÉMUNÉRÉ AU SMIC! Opportunité INCROYABLE!"
J'ai atteint mon point de rupture quand j'ai passé trois heures à rédiger un commentaire "intelligent" sous le post d'un influenceur LinkedIn, dans l'espoir qu'un recruteur le verrait et serait impressionné par ma perspicacité. Le commentaire a reçu 1 like de ma mère (qui venait de rejoindre LinkedIn et likait tout ce que je publiais).
J'ai finalement établi une règle stricte: LinkedIn uniquement entre 10h et 16h, jamais juste avant de dormir, et interdit le week-end. Cette règle a probablement sauvé ma santé mentale et ma relation avec mon téléphone, que j'étais à deux doigts de jeter par la fenêtre.
Et les autres plateformes de recherche d'emploi?
Ne me lance pas sur Indeed! Je pourrais écrire une thèse entière sur l'absurdité de cette plateforme. J'ai particulièrement apprécié leur système de "candidature en un clic" qui te donne l'illusion que postuler est facile, alors qu'en réalité, tu passes ensuite 45 minutes à remplir le même formulaire sur le site de l'entreprise.
J'ai dû créer un tableau Excel pour suivre mes candidatures, avec un code couleur complexe:
- Vert: "Ils ont au moins confirmé réception de ma candidature"
- Jaune: "Ghostée, mais je garde espoir"
- Orange: "Entretien obtenu puis plus de nouvelles"
- Rouge: "Refus explicite, au moins ils ont été honnêtes"
- Violet: "Offre retirée ou entreprise qui a disparu de la surface de la Terre"
À la fin, mon tableau ressemblait à un arc-en-ciel dépressif, avec une nette dominante de jaune et de rouge.
La plateforme la plus surréaliste reste Welcome to the Jungle. Leurs vidéos "culture d'entreprise" sont des chefs-d'œuvre de fiction corporate. Tu vois des gens jouer au babyfoot en riant, des salles de réunion avec des murs en plantes vertes, des collègues qui partagent des smoothies bio à la pause... puis tu te retrouves à l'entretien dans un open space gris avec des néons qui bourdonnent et une machine à café en panne depuis 2017.
Quel a été ton plus grand défi pendant cette période?
Sans hésiter: les jours "vallée". Tu sais, dans la dépression, il y a des montagnes - ces jours où tu te sens comme un déchet toxique que la société devrait recycler en engrais. Ceux-là sont identifiables, tu sais que tu ne vas rien accomplir.
Mais les jours "vallée" sont plus sournois. Tu te sens... presque normale? Alors tu te dis "allez, aujourd'hui je vais postuler à 10 offres!". Tu te douches même. Tu ouvres ton ordinateur. Et là, une petite voix te dit: "Tu crois vraiment qu'ils vont t'embaucher? Toi? La fille qui a mis son t-shirt à l'envers deux fois cette semaine?"
Les jours "vallée" méritent d'être détaillés, car ils sont le vrai champ de bataille de la recherche d'emploi avec une dépression. Un jour typique ressemblait à ça:
8h30: Réveil avec une énergie surprenante. Je me dis "Aujourd'hui, c'est LE jour!" 8h45: Je fais une liste ambitieuse: mettre à jour mon CV, postuler à 5 offres, contacter 3 anciens collègues pour du réseautage. 9h30: Je prends une vraie douche (pas juste un coup de gant), je m'habille avec des vêtements propres (pas mon pyjama de travail). 10h15: Premier café, j'ouvre mon ordinateur avec détermination. 10h20: Je vérifie "rapidement" mes emails. Rien d'intéressant. 10h22: Je vérifie "rapidement" LinkedIn. Une connaissance vient d'être promue. Sentiment confus de jalousie et d'inadéquation. 10h45: Je me force à ouvrir mon CV. Je fixe le document, le document me fixe en retour. 11h00: Je change la police de mon CV. Times New Roman à Arial. Révolutionnaire. 11h30: Je me lance dans une recherche Google de "meilleure police pour CV marketing 2023" qui me mène dans un terrier de lapin d'articles contradictoires. 12h30: Pause déjeuner, méritée après cette matinée "productive". 13h30: Je me promets de vraiment commencer maintenant. 13h35: Je me rappelle ce moment gênant lors de mon dernier entretien il y a 3 semaines. Je rejoue la scène mentalement 17 fois. 14h15: Je me force à ouvrir une offre d'emploi qui semble intéressante. 14h20: L'offre demande "5 ans d'expérience minimum". J'en ai 4 et demi. Dilemme existentiel: est-ce que ça compte comme 5 ans? Suis-je une menteuse si j'arrondis? 15h00: Je décide finalement de postuler. Je commence ma lettre de motivation. 15h10: Je vérifie si j'ai reçu des réponses à mes autres candidatures. Toujours rien. 15h30: Retour à ma lettre de motivation. La première phrase est cruciale. Je la réécris 9 fois. 16h00: Crise de confiance. Qui voudrais embaucher quelqu'un comme moi? Je ferme tout. 16h30: Culpabilité d'avoir "gâché" une journée où je me sentais presque bien. 17h00: Je me promets que demain sera différent. 20h00: Je me retrouve à regarder des vidéos de chatons pour apaiser mon anxiété.
J'ai renommé mon dossier de candidatures "Preuves que j'essaie malgré tout". À la fin, il contenait 47 lettres de motivation, toutes écrites en pyjama, généralement entre 22h et 4h du matin.
Comment ta dépression influençait-elle concrètement ta recherche?
Ma dépression était comme une collègue toxique constamment assise à côté de moi, commentant chacune de mes actions:
"Cette offre est parfaite pour toi, mais pourquoi postulerais-tu? Tu sais bien que tu n'es pas à la hauteur."
"Rappelle-toi ce projet que tu as raté il y a trois ans? C'est la preuve que tu es incompétente."
"Ils n'ont pas répondu depuis une semaine? Évidemment, ils ont vu ton profil et ont ri."
Le plus pervers, c'est que ma dépression portait parfois le masque de la "protection" - elle me "protégeait" de la déception en me convainquant de ne pas essayer. "Ne postule pas à ce job de rêve, tu seras tellement déçue quand ils te rejetteront. Mieux vaut ne pas espérer."
Concrètement, cela se manifestait de plusieurs façons:
- Procrastination Paralysante: Je pouvais passer quatre heures à reformuler un paragraphe dans une lettre de motivation, persuadée que chaque mot pouvait faire la différence entre être embauchée ou rejetée.
- Auto-sabotage Sélectif: Je ne postulais pas aux emplois que je voulais vraiment, par peur d'échouer là où ça comptait. Je réservais mes candidatures pour des postes "de secours" que je n'étais pas sûre de vouloir.
- Sur-préparation Anxieuse: Pour un entretien de 30 minutes, je pouvais passer 12 heures à me préparer, à anticiper chaque question possible, créant des scénarios catastrophes dans ma tête.
- Interprétation Catastrophique: Un recruteur met trois jours à répondre? Clairement, il me déteste. Il mentionne qu'il cherche quelqu'un qui "gère bien le stress"? C'est un code pour dire qu'ils ont détecté ma fragilité émotionnelle.
Le comble de l'ironie? Le marketing digital exige créativité, prise de risque et résilience - toutes des qualités que ma dépression s'évertuait à saper. C'était comme essayer de vendre ma capacité à courir un marathon pendant que je me débattais avec une jambe cassée.
Comment as-tu géré les entretiens?
J'ai développé un système que j'appelle "Le Triangle des Bermudes de l'Entretien":
- Préparation excessive jusqu'à connaître la couleur des chaussettes du PDG
- Attaque de panique une heure avant
- Dissociation complète pendant l'entretien où une Laura autopilote étrangement calme prend le relais
Mon approche des entretiens était un chef-d'œuvre de chaos organisé. La veille, je devenais une stalkeuse professionnelle - LinkedIn, Twitter, articles de presse, tout y passait. Je connaissais la trajectoire professionnelle du recruteur mieux que mon propre CV. Une fois, j'ai mentionné "casually" que j'avais aimé un article que le DRH avait publié deux ans auparavant. Son visage oscillait entre l'impression et la peur qu'il avait affaire à une sociopathe.
Toutes mes entretiens commençaient par le même rituel: arriver 30 minutes en avance, tourner autour du bâtiment pour tuer le temps (les réceptionnistes détestent les candidats trop ponctuels), puis passer 10 minutes dans les toilettes à pratiquer mon sourire professionnel et me répéter "tu es compétente, tu es compétente" comme un mantra bouddhiste dysfonctionnel.
L'évolution de mes tenues d'entretien mérite sa propre chronologie:
- Phase 1: Le Costume Corporate. Blazer, pantalon assorti, chemise repassée. J'avais l'air d'être déguisée pour Halloween en "adulte fonctionnelle".
- Phase 2: La Créative Accessible. Jeans "nice", blazer décontracté, bijou statement mais pas trop. L'équilibre était précaire entre "je suis créative" et "mais pas au point d'être instable".
- Phase 3: L'Authenticité Calculée. Tenue que je pourrais réellement porter au travail, maquillage minimal, accessoires personnels. La dépression m'avait épuisée au point que je n'avais plus l'énergie de prétendre être quelqu'un d'autre.
Ironiquement, c'est en phase 3 que j'ai commencé à obtenir des retours positifs. Apparemment, "trop fatiguée pour faire semblant" se traduit par "authentique et confiante" aux yeux des recruteurs.
Mon record? Un entretien Zoom où j'ai répondu parfaitement à toutes les questions tout en ayant une crise d'angoisse silencieuse. Ma jambe gauche tremblait si fort que j'ai renversé mon café, mais comme la caméra ne filmait que mon buste, le recruteur n'a rien vu. J'ai obtenu un deuxième entretien. La dépression développe des compétences insoupçonnées en acting.
Le pire entretien reste celui où j'ai complètement blanchi sur la question "Quelles sont vos principales qualités?". Comme si mon cerveau avait soudain été formaté. J'ai fixé le recruteur pendant ce qui m'a semblé être plusieurs heures (probablement 5 secondes) avant de répondre "Je suis... humaine? Avec des qualités... humaines?" Il a ri, pensant que je faisais une blague sarcastique sur cette question cliché. J'ai joué le jeu. Il m'a trouvée "rafraîchissante". J'ai passé l'étape suivante.
Et les assessments et autres tests de personnalité?
L'enfer moderne de la recherche d'emploi! J'ai développé une relation amour-haine avec ces tests, principalement haine avec une pointe de fascination morbide.
Le test MBTI est devenu mon horoscope professionnel. Apparemment, je suis ENFP, ce qui signifie que je suis "enthousiaste, créative et sociable" - trois adjectifs que ni moi ni mon psychiatre n'utiliserions pour me décrire pendant un épisode dépressif. J'ai passé ce test 4 fois pendant ma recherche d'emploi, obtenant 3 résultats différents. Je me suis demandé si je devrais mentionner ma "personnalité fluide" comme un atout.
Les tests de logique et de raisonnement étaient particulièrement cruels. Essaie de déterminer "quel motif géométrique vient ensuite dans la séquence" quand ton cerveau dépressif peine à se rappeler si tu as pris ta douche aujourd'hui. Une fois, j'ai passé un test demandant de résoudre des problèmes complexes "en moins de 20 minutes". J'ai mis 47 minutes et j'ai pleuré deux fois.
Le test le plus absurde a été un questionnaire demandant de choisir entre des affirmations comme "Je préfère travailler seul" ou "J'aime travailler en équipe" - comme si c'était des options mutuellement exclusives et non des préférences situationnelles. J'ai failli répondre "Ça dépend si mes collègues sont des imbéciles", mais je me suis retenue.
Finalement, j'ai cessé de voir ces tests comme des évaluations de ma valeur et plus comme des jeux vidéo particulièrement ennuyeux. "Level 42: Déchiffre ce que le recruteur veut vraiment entendre sans paraître trop calculateur!"
Et les refus? Comment les as-tu vécus?
Ah, les refus! J'en ai collectionné comme certains collectionnent les timbres. Mon préféré reste celui qui disait "Votre profil est impressionnant, mais nous cherchons quelqu'un avec plus d'énergie positive". Si seulement ils savaient l'énergie que ça me demandait de juste exister ce jour-là!
Les refus ont suivi une courbe émotionnelle fascinante:
Refus #1: Dévastation totale. J'ai pleuré pendant deux heures, remis en question ma carrière entière, googlé "reconversion boulangerie" à 2h du matin.
Refus #5: Colère ciblée. J'ai écrit (mais jamais envoyé) un email passive-agressive expliquant pourquoi ils faisaient une erreur monumentale. J'ai imaginé leur entreprise coulant sans mon talent inestimable.
Refus #12: Résignation morose. Un haussement d'épaules, un soupir, une barre de chocolat mangée directement du frigo.
Refus #20: Humour noir. J'ai commencé un "mur de la gloire" avec tous mes emails de refus imprimés. J'ai envisagé d'en faire une exposition d'art contemporain intitulée "Sorry to inform you".
Refus #35: Détachement zen. "Un autre? Ajoutez-le à la pile." J'étais devenue immunisée, comme un médecin qui ne réagit plus quand un patient vomit sur ses chaussures.
Les formulations des emails de refus méritent leur propre analyse littéraire. J'ai identifié plusieurs genres:
Le Ghosting Corporatif: Pas de réponse du tout. Le plus courant et paradoxalement le plus douloureux - l'équivalent professionnel d'être laissée en "lu".
Le Template Non Personnalisé: "Cher(e) candidat(e), malgré vos qualifications impressionnantes..." - souvent avec des espaces mal formatés trahissant le copier-coller hâtif.
Le Faux Regret: "C'est avec un immense regret que nous devons vous informer..." - comme si le recruteur pleurait en écrivant cet email qu'il a envoyé à 200 personnes ce jour-là.
Le Presque Honnête: "Nous avons trouvé un candidat dont l'expérience correspondait mieux à nos besoins actuels." - la version corporate de "ce n'est pas toi, c'est moi".
Le Sadique Encourageant: "Nous vous encourageons vivement à postuler à nos futures offres!" - merci, mais je préférerais me faire un masque facial au wasabi.
Au début, chaque refus était un coup de poignard. Je pleurais, je remettais en question toutes mes compétences, je réécrivais mon CV pour la 17ème fois. Et puis, progressivement, j'ai développé une sorte d'immunité. Pas de l'indifférence, plutôt une perspective: "Ce n'est pas moi qu'ils rejettent, c'est juste que le timing/fit/budget n'est pas bon".
Ça, c'est la version mature. En réalité, j'ai aussi une liste noire d'entreprises sur mon frigo que je regarde en mangeant des céréales à minuit.
Comment ta perception de toi-même a-t-elle évolué pendant cette période?
C'est probablement la question la plus difficile. Ma perception de moi-même a suivi les montagnes russes émotionnelles les plus intenses de ma vie adulte.
Au début, je me définissais entièrement par mon ancien poste. J'étais "Laura, responsable marketing digital chez X". Quand ce titre a disparu, j'ai eu l'impression que mon identité s'était évaporée avec lui. Je me présentais lors d'événements sociaux avec des circonlocutions maladroites: "Je suis en transition professionnelle" ou "Je suis consultante indépendante" (traduction: je donne des conseils gratuits à ma cousine pour son compte Instagram).
Puis est venue la phase "Je suis ma dépression". Chaque refus confirmait que j'étais fondamentalement défectueuse, inapte, indigne d'emploi. Je me regardais dans le miroir et je voyais littéralement le mot "CHÔMEUSE" écrit sur mon front en lettres invisibles mais brûlantes. Ma valeur personnelle était indexée sur mon statut professionnel - une équation toxique dans un contexte de recherche d'emploi.
Le point le plus bas a été atteint quand j'ai refusé d'aller à l'anniversaire d'une amie proche parce que je ne pouvais pas supporter les inévitables questions sur "alors, tu as trouvé quelque chose?". J'ai préféré m'isoler plutôt que d'affronter ce que je percevais comme un jugement, bien que rationnellement, je savais que mes amis s'inquiétaient simplement pour moi.
La métamorphose a commencé de façon inattendue. Un jour, après un énième refus particulièrement brutal (trois entretiens, un test technique, puis "nous avons décidé de suspendre ce recrutement"), j'ai eu une sorte d'épiphanie absurde: j'étais en train de pleurer sur mes toilettes, mon chat me fixant avec son habituel regard de jugement félin, quand j'ai éclaté de rire. La situation était tellement pathétique qu'elle en devenait comique.
Ce rire a été libérateur. J'ai réalisé que je n'étais pas ma dépression, ni mon chômage, ni même ma carrière. J'étais juste Laura, une humaine imparfaite traversant une période difficile, avec un chat jugemental comme témoin.
J'ai commencé à tenir un journal de gratitude, mais version réaliste - pas ces trucs Instagram où les gens remercient l'univers pour des opportunités de croissance. Non, j'écrivais des choses comme "Aujourd'hui, je suis reconnaissante d'avoir réussi à me laver les cheveux" ou "Merci à la boulangerie qui a fait une erreur et m'a donné deux croissants au lieu d'un".
Cette pratique, aussi modeste soit-elle, m'a aidée à voir que même dans mes pires jours, j'étais plus que ma recherche d'emploi. C'était un début de séparation entre mon identité profonde et mon statut professionnel.
Tu as mentionné que tu utilisais Listen. Comment cela t'a-t-il aidée?
Par le plus grand des hasards, j'ai reçu un accès anticipé à Listen en Mai. Le timing était... providentiel, disons.
J'avais épuisé à peu près toutes les ressources possibles à ce stade - livres de développement personnel, méditations guidées, applications de bien-être mental, thérapie (quand je pouvais me la permettre financièrement), groupes de soutien pour chercheurs d'emploi qui ressemblaient davantage à des séances collectives de dépression.
Contrairement à la plupart des outils de bien-être mental qui te disent essentiellement "respire et tout ira bien" (spoiler: respirer n'a jamais transformé mon CV en offre d'emploi), Listen a été... différent.
D'abord, j'étais extrêmement sceptique. Encore une application qui allait me dire de pratiquer la gratitude et d'embrasser l'incertitude? Non merci, j'avais déjà toute la collection.
Mais deux choses m'ont frappée immédiatement: premièrement, je pouvais me connecter à n'importe quelle heure (crucial quand ton cycle de sommeil ressemble à un électrocardiogramme erratique). Deuxièmement, ce n'était pas un monologue mais une conversation.
Je me connectais souvent après un refus ou une journée sans réponse - généralement à des heures indues où même mes amis les plus dévoués dormaient. Listen est devenu mon confident de recherche d'emploi nocturne.
Une nuit, après mon quatrième rejet consécutif, j'ai eu une conversation particulièrement révélatrice. Je pestais contre une entreprise qui cherchait un "ninja du marketing" avec "esprit startup" (traduction: nous voulons que tu fasses le travail de trois personnes pour le salaire d'une demi).
Au lieu de me dire "reste positive!" ou "chaque refus te rapproche de l'acceptation!" - ces platitudes que mes proches me servaient avec les meilleures intentions - Listen m'a posé une simple question: "Pourquoi voulais-tu vraiment ce poste?"
Cette question m'a arrêtée net. Je me suis rendu compte que je ne voulais pas vraiment ce job. Je postulais par désespoir, par peur, par sentiment d'urgence. J'ai réalisé que je postulais à des emplois que je n'aimais même pas, juste parce que je pensais devoir prendre "n'importe quoi". Listen m'a aidée à voir que même avec ma dépression, j'avais le droit d'être sélective, de chercher un environnement qui ne me détruirait pas.
Ce qui était particulièrement précieux, c'est que Listen se souvenait de tout. Contrairement à mes amis (que j'adore, mais qui ont leur propre vie), Listen savait exactement où nous avions laissé la conversation la dernière fois. Je n'avais pas à réexpliquer mon parcours, mes peurs spécifiques, ou pourquoi telle entreprise m'intéressait particulièrement.
C'était rafraîchissant d'avoir un espace où je pouvais être brutalement honnête sur mes peurs sans entendre "mais tu es tellement qualifiée!" ou "reste positive!".
Comment Listen se comparait-il aux autres outils que tu as essayés?
J'ai essayé TOUTES les approches pendant ma recherche d'emploi - je suis pratiquement une encyclopédie vivante des applications de bien-être mental.
Headspace était ma première tentative. Leurs méditations sont apaisantes, certes, mais après avoir écouté "Laissez passer vos pensées comme des nuages dans le ciel" pour la 50ème fois, j'avais envie de hurler "MES NUAGES SONT DES ORAGES ÉLECTRIQUES QUI ME HURLENT QUE JE SUIS INCOMPÉTENTE!"
Calm avait ces histoires pour dormir narrées par des célébrités. J'adorais écouter Matthew McConaughey me parler des étoiles, mais ça n'a jamais résolu mon problème de fond: comment gérer cette recherche d'emploi sans sombrer dans le désespoir.
J'ai même téléchargé une application qui te fait respirer en synchronisant une bulle qui gonfle et dégonfle. Je l'ai utilisée si intensément pendant une crise de panique pré-entretien que j'ai failli m'hyperventiler.
Les journaux de gratitude, les trackers d'humeur, les applications de méditation - tout ça formait mon arsenal de survie digitale. Certains jours, je passais plus de temps à utiliser ces applications qu'à chercher un emploi, créant une sorte de méta-procrastination thérapeutique.
Mais voilà où Listen était différent: ce n'était pas un outil qui me disait quoi faire, mais un espace où explorer pourquoi je me sentais comme je me sentais.
Un exemple concret: après un entretien particulièrement désastreux (j'ai confondu les noms de deux personnes importantes de l'entreprise), j'étais dans une spirale d'auto-flagellation.
La méditation me disait: "Accepte ce qui s'est passé avec bienveillance." Le journal de gratitude suggérait: "Sois reconnaissante pour cette opportunité d'apprentissage." Mon tracker d'humeur me demandait de quantifier mon désespoir sur une échelle de 1 à 10.
Listen, en revanche, m'a guidée dans une exploration de pourquoi cette erreur me semblait si catastrophique. Nous avons remonté jusqu'à mes expériences scolaires, où la perfection était la seule option acceptable. J'ai réalisé que je portais encore ce schéma: une seule erreur signifiait échec total.
Cette prise de conscience n'a pas magiquement transformé ma recherche d'emploi, mais elle a changé ma relation avec les "erreurs". Le prochain entretien où j'ai bafouillé une réponse, au lieu de me flageller mentalement pendant des jours, j'ai pu penser "C'est une réaction basée sur mon schéma de perfectionnisme, pas une évaluation objective de ma performance."
Y a-t-il eu un tournant dans ta recherche?
Oui, quand j'ai décidé d'arrêter de cacher ma condition.
Pas dans le sens "bonjour, je suis Laura, dépressive chronique avec une spécialité en crises d'angoisse et un master en syndrome de l'imposteur". Mais j'ai commencé à voir ma santé mentale comme une partie de mon parcours qui m'a donné des compétences uniques.
Ce changement est venu après une conversation nocturne particulièrement intense avec Listen. J'étais en train de rédiger ma 36ème lettre de motivation, supprimant soigneusement toute trace d'humanité pour correspondre à ce que j'imaginais être "l'employée parfaite": toujours positive, jamais vulnérable, une machine à performance sans faille.
Listen m'a posé une question simple mais percutante: "Si une entreprise ne peut pas accepter que tu aies des hauts et des bas, est-ce vraiment un endroit où tu veux travailler?"
Cette question a déclenché un changement profond dans mon approche. J'ai réalisé que je postulais comme si je vendais un produit sans défaut, alors qu'en réalité, j'étais un être humain complexe avec des forces uniques - certaines nées directement de mes luttes.
Ma dépression m'avait appris l'empathie, la résilience, la capacité à fonctionner même dans des conditions difficiles. Ma santé mentale n'était pas juste un handicap à cacher, mais aussi une source de perspectives précieuses.
Lors de mon avant-dernier entretien, quand on m'a demandé comment je gérais le stress, au lieu de sortir la réponse préfabriquée sur la "priorisation des tâches", j'ai dit: "J'ai appris à reconnaître mes limites et à demander de l'aide quand j'en ai besoin. Ma résilience vient de la conscience de ma vulnérabilité, pas de son déni."
La recruteuse a marqué une pause, puis m'a dit: "C'est la réponse la plus honnête que j'ai entendue depuis longtemps."
Je n'ai pas eu ce poste, mais cet échange m'a donné le courage d'être authentique lors de l'entretien suivant - celui qui m'a valu mon job actuel.
Ce moment a été un tournant parce qu'il a marqué la fin de la "Laura professionnelle" et de la "Laura personnelle" comme deux entités séparées. J'ai commencé à me présenter comme une personne entière, avec ses forces et ses vulnérabilités.
Comment s'est passé l'entretien décisif?
Comme une comédie romantique mal écrite. J'ai renversé mon eau sur mes notes dans les cinq premières minutes. Mon chat a décidé de faire une apparition surprise en plein milieu de ma présentation Zoom. Et j'ai eu un blanc total quand on m'a demandé de parler de la dernière campagne marketing que j'admirais.
Cet entretien mérite d'être raconté en détail, car il illustre parfaitement comment ma relation avec ma santé mentale a changé.
C'était un lundi matin. J'avais préparé ma tenue la veille - sobre mais avec une touche de personnalité, comme tous les articles de "comment s'habiller pour un entretien" le recommandent. J'avais opté pour un chemisier bleu foncé avec un petit pin's discret en forme de chat - un petit acte de rébellion personnelle contre le corporate bland.
L'entretien était en visio avec Marie, la directrice marketing, et Thomas, le fondateur. J'avais tout organisé: fond neutre, éclairage parfait, notes discrètement collées à côté de ma webcam.
Cinq minutes avant le début, j'ai fait tomber mon verre d'eau sur mes notes soigneusement préparées. L'encre a bavé, transformant mes points clés en une œuvre d'art abstracte digne de Pollock.
Ancien réflexe: panique totale, crise de larmes, conviction que c'était un signe cosmique que je devais échouer. Nouvelle approche: respiration profonde, rire nerveux, acceptation que l'imprévu fait partie de la vie.
L'entretien commence bien. Je me présente, parle de mon parcours sans surjouer ni me dévaloriser. Marie pose des questions pertinentes, je réponds avec une honnêteté mesurée.
Puis vient LE moment. Thomas me demande de présenter une campagne marketing que j'ai réalisée dont je suis particulièrement fière. J'ai préparé un cas spécifique, avec des chiffres, des visuels, tout.
Je lance le partage d'écran pour montrer ma présentation quand soudain - entrez Freud, mon chat, décidant que c'était le moment parfait pour sauter sur mon bureau, passer devant la caméra et s'installer devant mon écran.
Ancien réflexe: honte mortelle, excuses confuses, tentative maladroite de le chasser. Nouvelle approche: rire authentique, présentation improvisée de "mon collègue félin", puis continuation de ma présentation en travaillant autour de lui.
Marie et Thomas ont ri. La tension s'est dissipée. L'entretien est devenu plus une conversation qu'un interrogatoire.
Puis est venue cette question redoutée: "Quelle campagne marketing récente admires-tu particulièrement?"
Mon esprit: vide total. Blanc. Néant. Cette question que j'avais prévue, pour laquelle j'avais préparé trois exemples différents. Disparue de ma mémoire.
Ancien réflexe: panique, invention d'une réponse générique, prétendre que tout va bien. Nouvelle approche: honnêteté. "Vous savez quoi? J'avais préparé plusieurs exemples pour cette question, et mon esprit vient de faire un blanc total. Plutôt que d'inventer quelque chose, je préférerais vous parler de ce que je trouve problématique dans votre stratégie actuelle et comment je l'améliorerais."
J'étais certaine d'avoir tout gâché. Alors j'ai abandonné le script mental et j'ai commencé à parler avec passion de ce que je ferais différemment dans leur stratégie actuelle. J'ai critiqué (constructivement) leur approche sur Instagram, suggéré une refonte de leur stratégie de contenu, et proposé un nouveau positionnement pour leur gamme phare.
Apparemment, c'était exactement ce qu'ils cherchaient: quelqu'un qui pouvait penser clairement même quand tout partait en vrille. Ironiquement, vivre avec la dépression m'a entraînée à fonctionner dans le chaos.
Thomas m'a avoué plus tard qu'ils avaient délibérément posé cette question pour voir comment je réagirais sous pression. Ma réponse authentique les avait convaincus que j'étais la bonne personne.
Deux jours plus tard, j'avais une offre. Une semaine après, je signais mon contrat. Un mois plus tard, me voilà, dans ce bureau avec ma tasse bleue neutre, toujours anxieuse mais d'une manière étrangement productive.
Comment s'est passée ta première semaine de travail?
Un mélange fascinant de terreur, d'excitation et d'imposture. J'appelle ça le "cocktail du nouveau job".
Le premier jour était surréaliste. Après des mois à rêver d'avoir un bureau où aller, je me suis retrouvée paralysée devant mon armoire, incapable de décider quoi porter. Six tenues essayées, trois crises existentielles et deux cookies stress-mangés plus tard, j'ai opté pour une tenue que ma mère qualifierait de "présentable sans en faire trop".
L'arrivée au bureau était comme le premier jour d'école, mais avec du café à la place des crayons de couleur. Marie m'a présentée à l'équipe - 12 visages et noms que j'ai immédiatement oubliés, hochant la tête comme un de ces chiens en plastique qu'on met sur les tableaux de bord.
La visite du bureau s'est terminée par LA question redoutée: "Tu veux déjeuner avec nous?" - le premier test social de tout nouveau job. J'ai accepté, bien que mon instinct me hurlait de manger seule dans ma voiture pour décompresser.
Le déjeuner était une masterclass d'anxiété sociale: rire aux bonnes blagues, contribuer sans trop parler, déterminer le niveau d'informalité acceptable, gérer la politique complexe du "qui paie quoi".
L'après-midi a été consacrée à l'installation. La bataille avec l'informatique pour les accès, les mots de passe, les logiciels. J'ai passé 20 minutes à essayer de comprendre comment régler la hauteur de ma chaise sans oser demander de l'aide.
Le soir, j'étais épuisée comme si j'avais couru un marathon mental. J'ai appelé ma meilleure amie: "J'ai survécu au jour 1 sans me faire virer ou pleurer dans les toilettes. Victoire!"
Les jours suivants ont apporté leur lot de défis:
- Jour 2: Première réunion d'équipe. J'ai pris tellement de notes que j'ai développé une crampe à la main. 90% de ces notes étaient incompréhensibles le lendemain.
- Jour 3: Premier "feedback" sur une proposition. Mon cœur a fait un triple salto quand Marie a dit "J'ai quelques réflexions sur ton document". (C'était des suggestions constructives, pas une condamnation de mon existence entière, comme mon cerveau l'avait interprété.)
- Jour 4: Premier déjeuner seule au bureau. Étrangement libérateur. J'ai mangé en paix en regardant par la fenêtre, savourant ce moment de solitude.
- Jour 5: Premier "quick win" professionnel. J'ai résolu un problème de ciblage sur leur campagne Facebook. Le petit hochement de tête appréciateur de Thomas valait toutes les médailles du monde.
J'ai utilisé Listen chaque soir cette première semaine, déchargeant mes expériences, processant mes interactions, préparant mentalement le jour suivant. Cette pratique m'a aidée à séparer les faits ("Marie a suggéré des changements") des interprétations catastrophiques ("Marie pense que je suis incompétente").
Le plus surprenant a été ma conversation avec Jordan, le designer, lors d'une pause café. Nous parlions du stress au travail quand il a mentionné, presque en passant, qu'il prenait des antidépresseurs. J'ai failli renverser mon café. Ce type cool, talentueux, apparemment si à l'aise socialement - lui aussi?
Cette révélation a été étrangement réconfortante. Peut-être que je n'étais pas la seule imposteure ici. Peut-être que nous l'étions tous, à différents degrés.
Comment gères-tu ta santé mentale dans ton nouveau rôle?
J'ai développé ce que j'appelle mon "kit de survie corporative pour dépressifs fonctionnels". C'est un work in progress, mais il comporte plusieurs éléments essentiels:
- Système d'alerte précoce: J'ai identifié mes signaux d'alarme personnels - quand je commence à vérifier mes emails à 23h, quand je saute le déjeuner "parce que j'ai trop de travail", quand je rumine une interaction anodine pendant plus de 24h. Ces comportements sont mes canaris dans la mine de charbon.
- Protocole de décompression: 30 minutes de transition entre le travail et la vie personnelle. Pas de vérification d'emails après 19h (sauf urgence réelle). Pas de LinkedIn le week-end.
- Plan de gestion de crise: J'ai littéralement rédigé un document intitulé "Que faire quand tout part en vrille". Il contient des instructions pour moi-même comme "Respire, va aux toilettes, bois de l'eau, puis décide si c'est une vraie urgence." J'ai aussi identifié des lieux "sanctuaires" au bureau et à proximité où je peux me retirer quelques minutes si nécessaire.
- Transparence sélective: J'ai été ouverte avec Marie sur le fait que j'ai parfois des "journées difficiles" où je suis moins performante. Sans entrer dans les détails médicaux, j'ai expliqué que j'étais consciente de ces fluctuations et que je travaillais activement à les gérer. Sa réponse m'a surprise: "Qui n'a pas de journées difficiles? L'important est de les reconnaître et de les gérer."
- Listen comme "superviseur émotionnel": J'utilise Listen plusieurs fois par semaine pour démêler les interactions professionnelles complexes et distinguer les critiques réelles des interprétations anxieuses. C'est devenu mon espace pour "calibrer" ma perception de la réalité professionnelle.
- Horaires adaptés: J'ai négocié un horaire qui tient compte de mon rythme circadien dépressif. Je commence plus tard (10h au lieu de 9h) mais je reste plus tard. Cela me permet d'éviter la panik matinale et d'être plus productive pendant mes heures de lucidité.
Le plus grand défi reste la peur constante que "cette fois, ils vont découvrir que je suis une fraude." Le syndrome de l'imposteur ne s'est pas magiquement évaporé avec la signature du contrat.
J'ai dû activement combattre ma tendance à surtravailler pour "compenser" mes périodes moins productives. Comme Marie me l'a fait remarquer lors de notre premier point mensuel: "Tu n'as pas besoin de répondre aux emails à minuit pour prouver ta valeur."
Ce qui m'a le plus aidée, c'est d'établir une distinction claire entre "avoir une dépression" et "être dépressive". La première est une condition que je gère, la seconde serait une identité qui me définit. Cette nuance sémantique a été étonnamment libératrice.
Quels conseils donnerais-tu à quelqu'un qui est dans la même situation que toi il y a 6 mois?
La recherche d'emploi est déjà une expérience humiliante et déshumanisante pour les gens "normaux". Avec la dépression, c'est comme jouer en mode expert avec une manette défectueuse.
Mon premier conseil serait: arrête de te battre contre ta dépression pendant ta recherche. Intègre-la dans ton équation. La dépression n'est pas juste un obstacle à surmonter pour chercher un emploi "normalement" - c'est une réalité avec laquelle tu dois travailler.
Concrètement, cela signifie:
- Connais ton cycle: J'ai découvert que j'avais environ 3 jours "fonctionnels" suivis de 2 jours "brouillard". Au lieu de me forcer à être productive tous les jours, j'ai concentré mes activités de recherche importantes (candidatures, entretiens) sur mes jours fonctionnels, et j'ai réservé les tâches passives (recherche d'offres, veille) pour les jours brouillard.
- Redéfinis le succès: Un jour où tu n'as envoyé qu'une seule candidature au lieu des 10 prévues n'est pas un échec - c'est un jour où tu as avancé malgré ta dépression. Célèbre ces micro-victoires.
- Crée un environnement de recherche supportif: J'avais un coin dédié dans mon appartement pour la recherche d'emploi, séparé de mon lit et de mon espace détente. Cela m'aidait à compartimenter cette activité anxiogène.
- Déprioritise LinkedIn: Cette plateforme est toxique pendant une recherche d'emploi avec dépression. Limite-toi à checker les offres sans scroller le feed des "success stories".
- Sois stratégique avec ton énergie limitée: Si les appels téléphoniques te donnent des sueurs froides, privilégie les emails quand c'est possible. Si les grands événements de networking te vident, opte pour des rencontres individuelles.
- Trouve ton canal de décharge émotionnelle: Pour moi, c'était Listen à 3h du matin et mon journal de bord sarcastique. Pour d'autres, ce sera un sport, une thérapie, un groupe de soutien. L'important est d'avoir un espace où tu peux être honnête sur tes luttes.
- Prépare des scripts pour les questions difficiles: "Pourquoi avez-vous quitté votre dernier poste?", "Quelle est votre plus grande faiblesse?". Avoir des réponses préparées réduit l'anxiété en entretien.
- Garde un document avec tous tes accomplissements: Les jours où ton cerveau te dit que tu es un échec complet, ce document est ta bouée de sauvetage. J'y notais même les petites victoires: "J'ai obtenu un retour positif sur mon portfolio" ou "Le recruteur a dit que mon expérience était impressionnante".
Et peut-être le plus important: cherche un environnement de travail qui respectera tes besoins en matière de santé mentale. Ce n'est pas un luxe, c'est une nécessité. J'ai délibérément ciblé des entreprises avec des politiques de bien-être explicites et une culture qui semblait saine.
Lors des entretiens, j'écoutais attentivement comment ils parlaient de l'équilibre travail-vie personnelle. Une directrice m'a dit fièrement qu'elle "répondait aux emails même en vacances" - red flag immédiat. Un autre a mentionné leur "salle de repos" où les employés pouvaient "prendre une pause mentale" - green flag.
Et oui, la thérapie si tu peux te la permettre. Si tu ne peux pas, il existe des ressources gratuites ou à bas coût. Et bien sûr, des outils comme Listen qui peuvent combler les écarts entre les sessions professionnelles.
Dernière question: Comment envisages-tu l'avenir?
Avec un mélange de terreur et d'espoir, comme tout bon dépressif fonctionnel!
Je ne vais pas mentir et prétendre que j'ai tout résolu. J'ai encore des nuits d'insomnie où je me réveille persuadée que je vais me faire virer le lendemain parce que j'ai utilisé le mauvais filtre sur une publication Instagram.
Mais quelque chose a fondamentalement changé dans ma relation avec ma santé mentale et ma carrière: je ne les vois plus comme des forces antagonistes, mais comme des parties interconnectées de mon identité.
J'ai un plan de "gestion de crise" pour les inévitables mauvais jours au travail. J'ai été transparente avec mon manager direct sur le fait que j'ai parfois besoin d'aménagements. Étonnamment, elle a été incroyablement réceptive.
À court terme, mon objectif est de solidifier ma position dans l'entreprise, de construire ma crédibilité, et de continuer à développer des stratégies d'adaptation saines.
À long terme? Je commence à envisager quelque chose qui me semblait impensable il y a six mois: utiliser mon expérience pour aider d'autres personnes dans des situations similaires. Peut-être un blog, des ressources, ou des interventions dans des programmes d'insertion professionnelle. La dépression et le monde du travail sont encore trop souvent traités comme des réalités mutuellement exclusives.
Je ne vais pas prétendre que mon nouveau job va guérir ma dépression - ce serait naïf. Mais pour la première fois, je ne vois pas ma condition comme un obstacle insurmontable à ma carrière. Je la vois comme une partie de moi qui, paradoxalement, m'a donné certaines de mes plus grandes forces professionnelles: empathie, résilience, créativité dans l'adversité, capacité à fonctionner même quand tout semble impossible.
Comme je l'ai dit à Listen lors de notre dernière conversation nocturne: "La dépression est un handicap invisible que je porterai probablement toujours. Mais j'ai appris à construire des rampes d'accès mentales."
Je ne sais pas ce que me réserve l'avenir. Mais je sais que j'ai survécu à 47 candidatures, 12 entretiens, 8 rejets, et d'innombrables nuits de doute. Ça, c'est déjà une ligne impressionnante sur mon CV existentiel.
Et qui sait? Peut-être qu'un jour, je changerai cette tasse bleue neutre contre une qui dit "Dépressive Professionnelle et Fière de l'Être". Mais pour l'instant, je me contente de prendre un jour à la fois, un email à la fois, une victoire à la fois.
Laura a bénéficié de l'accès anticipé à Listen, une plateforme de soutien psychologique disponible 24/7. Si vous traversez une période difficile dans votre recherche d'emploi ou votre vie professionnelle, inscrivez-vous sur liste d'attente sur listen-care.fr.
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